Emmanuelle Lequeux Fr

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Depuis 2009, Jérôme Robbe a présenté ses recherches dans le domaine pictural dans de nombreuses expositions personnelles et de groupes, notamment à Berlin, Paris et Nice. Il participera à la foire Art-o-Rama, à Marseille, du 29 au 31 août, dans le Show-room 2014, sélectionné par le critique Frédéric Bonnet. C’était un paysage émouvant et mouvant, une banquise de mille nuances installée sous le soleil fracassant de la Côte d’Azur : en envahissant la terrasse du musée national Marc Chagall à Nice en 2011, pour l’exposition collective « La peinture autrement », Jérôme Robbe a réalisé un des plus beaux gestes de peintre que l’on ait vu au fil des dernières années. Des plaques de marbre flottaient sur le sol, en suspens sur des couches de pigments liquides vacillant du bleu au rosé, et sans cesse recomposées par l’eau, la lumière et le vent.
Une toile où s’immerger comme en un paysage, à arpenter, à surveiller dans ses infinis changements. Formé à la Villa Arson, à Nice, et aujourd’hui installé à Paris, le jeune peintre n’a de cesse de réinventer son médium. Héritier de l’abstraction américaine et de ses vastes horizons en all-over, mais aussi du romantisme allemand et de son sentiment de sublime, il « jongle toujours avec le tableau comme avec un paysage en soi, mais aussi comme la représentation d’un paysage, toujours dans ce va-et-vient.
J’ai commencé en peignant des ciels, et peu à peu je me suis dégagé de cette origine, pour aller vers la sensation, le sentiment ».

Méfiant à l’égard de tout motif, même s’il lui arrive d’insérer des bribes de réalité dans ses oeuvres, il s’attelle à une vaste problématique : « travailler le sujet même de la peinture, la matière ». Fasciné par l’invention constante de la Renaissance, sans jamais revendiquer faire « de la peinture pour la peinture », il imagine constamment de nouveaux outils. Dernière trouvaille en date, une sorte « d’imprimante à main », qu’il est en train d’expérimenter et décrite ainsi : « Je travaille d’abord une peinture très épaisse, 15 litres dispersés sur une surface de 1,5 mètre sur 1,5 mètre. Les différentes peintures mélangent leur chimie et créent des cratères et des failles. Je prends ce premier résultat en photo, puis je réimprime l’image en bitmap sur la matière même, avec une imprimante dépiautée et ajustée d’une poignée que je passe à la main sur la surface ». Ce qui permet à la machine d’imprimer dans les recoins les plus profonds, et à l’artiste « de travailler sur toutes les erreurs imposées par mon corps à cet outil à l’origine parfait, et de jouer sur le manque de netteté ». Le tout agrémenté d’un hommage direct à Polke. Afin de répondre à « son léger problème de peindre une image », Jérôme Robbe a aussi beaucoup travaillé avec des surfaces miroir, « manière de faire entrer l’image dans la peinture en jouant des reflets du spectateur ».
Mais il a dérogé deux fois à son habitude. La première en insérant dans une série des images des pionniers européens partis

à la conquête de l’Ouest : « Des découvreurs de territoires, qui faisaient écho à ma conception de la toile comme territoire ». Et une deuxième fois en utilisant des tatouages de prisonniers russes : « Je travaillais des glacis à l’ancienne, méthode assez méconnue, et je cherchais une image un peu secrète quand je suis tombé sur les tatouages de ces criminels, pleins de sens cachés, de références cryptées ou mystiques ». Il prolonge aujourd’hui cette recherche en travaillant sur une initiative du Mac/Val à Vitry-sur-Seine, avec des détenus de la prison de Fresnes. « Je les ai rencontrés récemment et nous avons lancé un projet d’un an ensemble. À travers des discussions les plus intimes possibles, nous allons faire remonter leurs images, celles qui n’ont de sens que pour eux, puis selon leurs directives, de motif, de couleur, de processus, je serai l’exécutant de leur imaginaire », témoigne l’artiste. Un protocole passionnant, qui fera à terme l’objet d’un ouvrage, et dont l’artiste reversera la moitié des droits tirés des ventes à l’association de détenus, « afin que d’autres projets comme celui-ci soient encore possibles ».