Jérôme Robbe

Mon travail se définirait, dans un sens large, par une recherche des possibilités des matériaux de la peinture. Je considère l’accident créé par la matière, de la peinture et de ses différents composant, comme un terrain aventureux d’expérimentation et un paysage à part entière. Je cherche à m’inscrire dans une certaine histoire de la peinture qui n’a cesser de se ré-inventer par ses propres outils. 

De la peinture sur bois à l’oeuf nous sommes passé à la peinture sur toile, il a donc fallut inventer la toile et le châssis, puis la peinture à l’huile, les glacis, la glycérophtalique puis l’acrylique, la camera obscur pour projeter les dessins de la nature puis la photo, la vidéo-projection puis l’impression, tout un tas de nouveaux matériaux et supports qui ont engendrés des gestes et des concepts évoluant avec leurs époques.

C’est au vu de cette tradition que mon travail s’encre dans une histoire polymorphe de la peinture.

Tout en employant des matériaux et gestes traditionnels, de part mon éducation classique de la peinture à l’huile, je cherche depuis quelques années à confronter et ré-adapter ces techniques aux matériaux et concepts contemporains de l’Art. Tentant de remettre en question aussi bien la forme, le geste que le support mais également le système de monstration du tableau du mur au sol ou encore en volume.

Ma peinture est animée par le désir de piéger le regardeur. Plaisir de voir le regardeur se regarder, se mirer, s’admirer, se piéger dans la surface réfléchissante de ses tableaux. L’incitant ainsi à observer d’un peu plus près ce qui s’offre à ses yeux, une peinture. Ce n’est donc pas sans hasard que j’ai choisi comme matériau de prédilection, le miroir ou la surface peinte ultra vernis – imitation d’un miroir – faisant écho à certaines des grandes figures de la peinture (entre autres Van Eyck, Velasquez, Pistoletto et Richter).

Comment incarner en peinture ce postulat initial ?

Mon travail repose sur un jeu entre le geste, le fond et la forme afin d’en troubler la distinction. Chaque geste fonctionne comme un leurre.

La série « Ecrans » ou « No Man’s Land » est en cela emblématique. D’une certaine sophistication plastique (forme, composition, gamme chromatique) ces oeuvres sur bois combinent des formes et des gestes qui se font l’écho d’une histoire de l’abstraction souvent récente (Sigmar Polke, Sue Williams). Je joue ici avec le support, le fond apparaissant et disparaissant au gré des glacis successifs.
A contrario, certaines peintures de la série « Compressions » réalisées sur plexiglas aspirent à expérimenter une peinture sans support.
La plaque de plexiglas, que j’ utilise pour métamorphoser la composition initiale sur bois, recueille par compression a fresco la matière picturale qui devient in fine support et matière de l’oeuvre. A l’approche d’une Compression, le regardeur s’interroge sur le lieu de la peinture, est-il au recto de la plaque de plexiglas, est-il au verso ? J’interroges les structures de la peinture.

La série des « Ecrans » évoquent aussi bien les Abstraktes Bild de Gerhard Richter que les grandes peintures en résine de Sigmar Polke (présentées en 2007 à la Biennale de Venise).

En revanche, avec les « Tatouages », je tente de prendre mes distances avec une certaine histoire formaliste de l’abstraction. Même s’ils peuvent faire penser au travail de Pistoletto sur le miroir, ils s’en distinguent radicalement dans leur procédé d’élaboration.
Ce travail trouve comme point de départ des images issues d’une sorte d’encyclopédie de tatouages, récupérés dans les prisons et bagnes de l’ex-Union Soviétique. Glanés sur les corps des prisonniers, ils témoignent des fantasmes et de l’univers mental des « ennemis du peuple » – nommés ainsi par le régime. Ce sont ces images reconnaissables – crânes, phallus, croix gammées, démons, femmes nues, caricatures de Marx, Lénine et Staline – et signifiantes qui m’ont incité à introduire l’image dans ses tableaux. Ces oeuvres sont travaillées recto/verso : le tain au dos de la glace (verso) est gratté. Là où cette matière a disparu par grattage apparaît au recto, suite à l’application de couches successives de vernis, le dessin d’un tatouage de prisonniers russes. Par exemple, pour Convicted for Robbery (2007), le dessin ne se situe pas là où on l’imagine (sur la surface du miroir) mais en son envers. La forme n’est pas le fond, elle est au-delà du fond. En cela, ma pratique s’inscrit dans une logique structuraliste de déconstruction du tableau.

Mes récentes peintures, rassemblées sous le titre générique « Abstrait landscapes (L’air de rien) », pourraient s’inscrire entre trois éléments : l’aube, le crépuscule et l’océan. Entre, car il ne s’agit ni de la représentation d’un ciel, ni de celle d’un océan.

À l’image de la banquise du musée Chagall qui faisait volontiers écho à La Mer de glace, l’ensemble des tableaux trouvent leurs racines dans Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich. Ainsi chaque regardeur pourra se trouver à la place du personnage central du célèbre tableau de Friedrich et contempler le paysage abstrait que la matière provoque.

Les surfaces bleutées, argentées et cuivrées, mates et/ou brillantes des mes peintures veulent évoquer autant la condensation de la vapeur d’eau sur une vitre, le lit d’un ruisseau qu’une image atmosphérique. Le caractère réfléchissant des tableaux piège le regardeur à la surface de l’oeuvre dans des apparitions plus ou moins fantomatiques voire déformées par les ondulations du support.

Si la référence initiale est celle d’un ciel ou d’une surface aqueuse les nombreuses couches de vernis jouent sur la déperdition dans la représentation, créant une impression d’inquiétante étrangeté.
Ainsi, mes peintures récentes voudraient se situer entre une tradition moderniste de l’absolu de l’art, libéré de toute référence externe : en tant que pur traitement d’un matériau spécifique et la rupture avec cette tradition opérée par Rauschenberg qui s’oppose à toute forme d’autonomie de l’oeuvre. De cet art absolu dont la pensée s’observe dès le premier romantisme à l’art comme image du monde, je cherche à opéré une synthèse.